Lux Aeterna : lente catabase psychédélique
- Margot Simmen
- 18 oct. 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 févr. 2021
Avec son moyen-métrage Lux Aeterna, Gaspar Noé met en scène de manière terrifiante et saisissante l'horreur d'un tournage chaotique.
Réalisé en plans séquences et split screens, le film nous immisce dans les locaux d'un film sur l'Inquisition, où Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg, fidèles à elles-mêmes, se retrouvent prises dans la folie de la création cinématographique : entre tensions avec le producteur et le co-réalisateur, personnages extérieurs qui parasitent l'avancement du tournage, problèmes techniques avec la lumière et le son, les deux femmes peinent à se faire entendre et à rétablir une atmosphère calme et conciliante. Dans cette descente cauchemardesque en enfer, l'impuissance des personnages et l'inhumanité de certain est poussée à son paroxysme, beau parallèle avec le sujet de ce film, qui se termine sur une scène de bûcher cruelle et inévitable.
J'ai eu la chance de rencontrer Gaspar Noé lors d'une master classe, et celui-ci nous mettait en garde sur le ton de l'humour quant aux tournages, qui pouvaient se dérouler dans un chaos similaire. Seul moment calme et posé, le plan séquence de 12 minutes du début du film, une scène de dialogue remarquable et drôle, où les deux femmes se partagent des anecdotes de tournage. Une amitié naissante entre deux personnes opposées, une Charlotte quasiment timide et pudique face à une Béatrice expressive qui ne mâche pas ses mots. Ce lien rapidement créé est menacé par le chaos des événements qui suit, alors qu'elles se retrouvent toutes deux impuissantes, en permanence sollicitée par un fan, un critique de film et le reste de l'équipe. La dégradation vers le désordre total est remarquablement construite, alors qu'on sent peu à peu l'ambiance générale tourner au cauchemar.
Après ce cheminement infernal, où les seuls moments de solitude des personnages, outre le début, sont tourmentés (Béatrice craque et fond en larme tandis que Charlotte s'inquiète pour sa petite fille qui se dit blessée par un couteau au téléphone), la deuxième partie avec la scène du bûcher signe la folie assumée de ce tournage, avec un réalisateur opportuniste qui continue de filmer Charlotte alors que celle-ci, seule et prisonnière, supplie qu'on la libère réellement. Là où les voix des deux femmes ne comptaient presque pas dans une tentative de rétablir l'ordre, elle sont totalement réduites au silence, dans une sorte de résolution terrible face à ce déchaînement de folie : il est impossible de se battre contre le cours des choses. Le réalisateur joue aussi sur la notion d'idéalisme et de réalisme, avec le personnage de Charlotte notamment, que l'on alpague incessamment dans le film pour son talent et sa notoriété. Cependant, le contraste avec une réalité si proche et modeste d'une mère qui s'inquiète pour son enfant vient résonner avec cette image idéalisée. De même l'actrice et la sorcière brûlée ne font plus qu'unes à la fin, sous les directives du co-réalisateur. Le monde du cinéma est donc fait de doubles avec lesquels il faut composer, tout comme les split screens le montrent. Dans un long tourbillon chatoyant et éclatant qui ferait fuir les épileptiques, la scène finale conclut ce tournage infernal, qui semble se figer dans une lumière éternelle et entêtante, que rien ne saurait affaiblir.
Gaspar Noé livre une belle et angoissante représentation du 7ème art, le produit finalisé et perfectionné que le spectateur a le luxe d'admirer au cinéma, mais derrière lequel se cache un envers du décor chaotique.

Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg au cœur d'un cauchemar psychédélique et infernal, proche de la catabase
Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg, plongées dans un cauchemar psychédélique et infernal
Film Lux Æterna
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